Analyses Critiques

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Le Franc CFA : Probable dévaluation ou simple rumeur ?

Depuis un certain temps, des affirmations parfois qualifiées de rumeurs circulent faisant écho d’une probable dévaluation de la monnaie coloniale des pays Africains dit de la zone franc. Ce franc CFA qui est objet de controverses est combattu par des économistes qui trouvent que non seulement le maintien de cette zone franc entretient le paternalisme de la France vis-à-vis des pays Africains membres de cette zone, mais aussi traduit le refus de ces derniers de prendre en main le destin économique de leur pays. Aussi, pour ces derniers, l’arrimage à l’Euro impose aux pays de cette zone une rigueur budgétaire et une politique économique qui a pour conséquence de détériorer le solde de la balance des paiements ; Cette situation de déficit structurel expose par conséquent les pays de cette zone à des dévaluations consécutives. La crise actuelle de l’euro viendra-t-elle confirmer les analyses de ces économistes?

Nous nous rappelons qu’avant le 11 janvier 1994, date de la dévaluation du Franc CFA, des rumeurs sur une probable dévaluation du CFA avaient circulé, rumeurs qui avaient été démenties par les autorités de l’époque. Ce qui n’a pas empêché, néanmoins, la monnaie d’être dévaluée. C’est peut-être cette situation qui traduit l’inquiétude des populations, car nul ne peut désormais se fier aux affirmations des autorités compétentes.

 

La dévaluation en question

 

La dévaluation d’une monnaie se fait toujours par rapport à une autre. Dévaluer sa monnaie, c’est faire perdre de la valeur à sa monnaie. C’est une décision politique qui tient compte de la situation de l’économie. La monnaie d’un pays à un prix. Lorsque par exemple un européen veut acheter un produit burkinabè, il lui faut d’abord acheter la monnaie locale du Burkina (ici le CFA) avec lequel il achètera le produit du Burkina. Le prix auquel il achètera la monnaie du Burkina est le taux de change. Par exemple, 655,957 FCFA coûte 1 Euro pour l’européen. Plus l’européen achètera la monnaie du Burkina, plus notre monnaie va gagner en valeur, elle va coûter cher ; l’économiste dit qu’elle s’apprécie. Dans le cas où c’est le burkinabè qui achète plus de la monnaie de l’Européen, la monnaie Burkinabè va perdre de la valeur, car elle est moins demandée, elle se déprécie. Maintenant, la dévaluation intervient dans le cas où les autorités décident de fixer la valeur de leur monnaie. En ce moment, on charge la banque centrale de faire en sorte que la monnaie ne perde pas de sa valeur dans le cas d’une tendance à la dépréciation. La banque centrale doit éviter que la monnaie ne s’apprécie, ni ne se déprécie. C’est-à-dire que 655,957 FCFA doivent coûter tout le temps et partout 1 Euro. Lorsque la Banque Centrale n’arrive pas à empêcher la dépréciation de la monnaie, les Etats décident de dévaluer leur monnaie. Mais cela doit d’abord passer par l’assemblée nationale. (Article 101 de la constitution du Burkina Faso, stipule que « la loi fixe le régime d’émission de la monnaie ».)

 

Peut-on aujourd’hui soutenir l’idée une dévaluation du Franc CFA?

 

La structure de la balance des paiements permet d’avoir une idée de ce qu’une monnaie sera ou pas dévaluer. La balance des paiements permet de retracer toutes les entrées et les sorties de biens, de services et de capitaux pendant un an. La balance des paiements comporte la balance des opérations courantes et la balance des capitaux. Nous nous intéresserons à la balance des opérations courantes.

La balance des opérations courantes comporte la balance commerciale (Exportations de biens – Importations de biens) et la balance des invisibles, c’est-à-dire des services (frais de transport, assurances, revenus des capitaux investis à l’étranger, produits de la recherche etc.) et des transferts sans contreparties (rapatriements par les travailleurs émigrés, les œuvres de bienfaisances et autres dons provenant du secteur privé, les dons des gouvernements des pays développés etc.) Le déficit de solde du compte courant signifie que le pays vit au-dessus de ces moyens. Autrement dit, le pays s’endette vis-à-vis de l’extérieur pour financer sa consommation et son investissement. Si ce déficit se creuse de plus de plus et devient structurel comme c’est le cas pour la zone Franc, alors une dévaluation s’imposera pour rétablir l’équilibre externe et relancer l’économie. Et c’est justement, cela qui a occasionné entre autre la dévaluation de 1994.

La dévaluation de 1994 et ses raisons

 

La dévaluation de 1994 est arrivée pour rétablir l’équilibre de la balance des paiements, accroitre les recettes budgétaires des pays de la zone et relancer l’économie. En effet, les raisons de la dévaluation de 1994 étaient liées selon les spécialistes à une dégradation de près de 45% des termes de l’échanges, ce qui a eu pour conséquence de contracter les recettes d’exportation. Cette situation a donc entrainé la chute des recettes budgétaires fortement dépendantes des taxes sur le commerce extérieur. A côté de cela, notons aussi le creusement du déficit budgétaire des Etats qui furent incapables de réduire leurs dépenses malgré l’application des PAS dans les années 90. Nicolas Agbohou montre aussi que la dévaluation est liée à un déficit structurel de la balance des invisibles (c’est-à-dire, le document comprenant les échanges de services ainsi que l’ensemble des transferts privés sans contrepartie). Autrement dit, les pays de la zone Franc ont dépensé plus d’argent pour acquérir des services qu’ils en ont gagné en vendant les leurs.

Euro, crise grecque et le Franc CFA


L’inquiétude liée à la dévaluation vient certainement des récentes crises dans la zone Euro. La question que tous se posent est de savoir quel pourrait être l’impact de cette crise sur le Franc CFA qui est une sous-monnaie de l’Euro?

 

L’Euro et le CFA

 

L’arrimage du Fcfa à l’Euro qui est une monnaie forte entraine une surévaluation de la monnaie des néo-colonies africaines de la France. Cela a pour conséquence le renchérissement des exportations des pays Africains hors zone euro. Pendant que les chinois sous-évaluent leur monnaie pour mieux vendre, nous supportons la surévaluation d’une monnaie qui ne répond pas à notre réalité économique, car la valeur d’une monnaie est liée à sa santé économique. Cette situation handicape les pays africains qui auraient pu avoir des recettes d’exportations assez importantes si leur monnaie n’était pas surévaluée. Cette politique de monnaie forte fait que les pays Africains ne peuvent conquérir des marchés dans les pays du Sud. Car le chinois qui doit acheter le cacao ivoirien devra d’abord acheter l’Euro et le convertir en CFA. Hors si l’Euro coûte Cher pour le chinois, le CFA coûtera aussi cher. Par suite, le cacao ivoirien sera moins compétitif que celui du Ghana par exemple. Cela contraint les pays de la zone Franc à exporter vers les pays de la zone Euro qui deviennent alors leurs premiers partenaires (50% en moyenne de leurs échanges commerciaux est à destination de l’Europe).

 

Crise grecque et le CFA

 

La crise de la zone Euro est une crise qui montre que ces pays ont longtemps vécu au-dessus de leurs moyens. Ils ont alors creusé leur budget. Aujourd’hui, ils se retrouvent dans l’incapacité de rembourser leur dette. Ces pays tombent alors « en faillite ». Les mesures pour résorber ce déficit sont principalement des mesures d’austérité, de réduction des dépenses publiques. Cette situation peut entrainer une contraction de la demande globale des pays de la zone Euro. Si cette contraction est importante, les pays de la zone franc risquent de voir se contracter le volume des exportations à destination de l’Europe. Ce qui pourraient placer les pays de la zone dans la situation d’avant 1994. C’est-à-dire une situation de baisse des recettes d’exportation qui va se répercuter sur les recettes budgétaires. Aussi, l’indice des prix des produits alimentaires a augmenté. De 100,1 en 1994, on est aujourd’hui 2011 à 202,5. Cela signifie qu’entre 1994 et 2011 les prix des produits alimentaires ont doublés. La tendance est restée en hausse. Autrement dit, si la contraction des exportations se conjugue à une hausse des prix des produits alimentaires importés, il faudra alors craindre un déficit commercial. D’ailleurs les chiffres de la BCEAO pour l’UEMOA montrent que le déficit de la balance commerciale est passé d’un solde positif en 1994 de 341 milliards à – 1009,6 milliards en 2008. Mais le solde global pour toute la zone est positif.

 

La balance des opérations courantes après la dévaluation de 1994

 

La Zone Franc présente une balance commerciale globalement positive de l’ordre de 81 806,9 milliards de Franc CFA entre 1994 et 2010. Cependant, le solde du compte courant est resté structurellement déficitaire sur la même période de l’ordre de 4 657,9 milliards de FCFA. Ce qui signifie que la balance des services est globalement déficitaire de 86 464,8 milliards de Franc Cfa entre 1994 et 2010, soit 1,05 fois l’excédent cumulé de la balance commerciale. De cela, il découle que pendant 16 ans les pays de la zone Franc ont transférer au Nord en moyenne l’équivalent de leur recette d’exportation pour s’offrir en priorité des services et payer les prestataires étrangers de ceux-ci. Un État doit équilibrer ses recettes et ses dépenses sur le long terme de façon à stabiliser l’économie. Comme tout agent, un pays ne peut rester éternellement en déficit et doit s’efforcer d’équilibrer ses échanges avec le reste du monde. Lorsque la balance des paiements est structurellement déficitaire, cela entraine une tendance à la dépréciation de la monnaie nationale. Nous demandons plus de monnaie étrangère (qui gagne en valeur) pour importer plus que nous en offrons de monnaie nationale (qui perd donc en valeur) pour les exportations de nos biens et services. Cette situation conduit à une dévaluation si le change est fixe comme dans le cas de la zone franc afin de rétablir l’équilibre externe et rendre compétitifs les produits nationaux. Avant la dévaluation du Franc Cfa en 1994, le solde de la balance des invisibles étaient de l’ordre de 43867 millions de dollars entre 1970 et 1993 et représentaient le triple des revenus d’exportations de la zone Franc. Après 1994, ce même solde de la balance des invisibles représente l’équivalent des revenus d’exportations de cette même zone. Ce qui risque de s’aggraver si la crise de l’euro influe négativement sur la demande globale de biens d’exportations, et si la hausse des prix de produits importés persiste.

 

Pour conclure

 

16 ans après la dévaluation du Franc CFA, le solde du compte courant est resté structurellement déficitaire pour l’ensemble des pays de la zone Franc sur toute la période, sauf en 1994. Cette situation de déséquilibre structurel a une tension à la dépréciation de la monnaie des pays de la zone franc. Cette situation est liée en partie comme le soutien Nicolas Agbohou et Pouemi T. Joseph à l’arrimage entre une monnaie d’économies faibles (le FCfa), à exportations non diversifiées et très peu transformées à une monnaie forte d’économies développées (L’Euro). L’une des solutions à cette situation serait la rupture avec l’Euro. La crise de la zone Euro aujourd’hui nous montre que le développement de la science est le fruit de tâtonnement, d’essais et non une science exacte sans marge d’erreurs. Sans politique volontariste, le développement devient une vue de l’esprit. Il ne faut pas attendre qu’une autorité informe les populations sur une probable dévaluation du Franc Cfa. Cela risquerait de saper les avantages escomptés de la dévaluation. Cependant, les rumeurs de dévaluation vont pousser des agents économiques qui pour plus de sécurité vont se débarrasser des CFA pour éviter de les voir perdre de la valeur du jour au lendemain. Et cette situation risque alors de précipiter la dévaluation. C’est ce qu’on nomme les prophéties auto réalisatrices. Il est plus qu’urgent que les autorités monétaires dévoilent leurs mesures de lutte contre les effets de la crise de l’Euro sur les économies au lieu de tabler sur un discours qui voudrait que la zone franc ne souffre pas trop de la crise de la zone. Car si celui qui te donne à manger commence à manquer de nourriture, sois sûr que tes chances de mourir de faim seront élevées.

 

 

Sources

1. Banque de France, note d’information n°127, 2002

2. Nicolas Agbohou, le Franc Cfa et l’Euro contre l’Afrique, Ed. SOLIDARITE MONDIALE, paris 1999 3. Paul Krugman et Maurice Obstfeld, Economie Internationale, 8ème Edition, Ed. Nouveaux Horizon, France, 2009

4. Professeur S. SOULAMA, Economie internationale, Note de cours 2ème année Sciences économique, Université de Ouagadougou, année 2005-2006.

5. http://www.fao.org/giews/english/gfpm/index.htm, pour les prix des produits alimentaires.

6. www.banquedefrance.org et sur www.banque-france.org, statistiques de la banque de France,

7. www.bceao.int, composition de la balance des paiements. 

 

(78 16 80 03)



27/12/2011
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