Analyses Critiques

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La SCADD, un programme condamné à échouer ?

 

La SCADD vient remplacer le CSLP pour permettre au Burkinabè moyen de pouvoir espérer de la vie et sortir de la routine d’une politique économique « stagnante depuis 2000 ». Les objectifs chiffrés de la SCADD ont été établis et les indicateurs de mesures des performances de la SCADD ont été élaborés avec clarté ! Et cela est à l’avantage de l’Etat qui a du payer cher des économistes rompus dans l’art de rédiger des programmes de développement. C’est évident que pour le bonheur du peuple, il ne faut pas lésiner sur les moyens. Cependant, en tant qu’économistes, nous sommes souvent loin de certaines réalités et cela peut frustrer les populations. C’est par exemple la mystification des chiffres qui obnubile et fait oublier la réalité sur le terrain.

 

En finir avec la mystification des chiffres !

« La croissance économique, mesurée par le PIB, diffère du développement économique défini comme un processus endogène et cumulatif de progrès de productivité et de réduction des inégalités à long terme, permettant à un nombre croissant d’habitants de passer d’une situation de vulnérabilité et d’insécurité à une situation de plus grande maîtrise de l’incertitude, des instabilités et de satisfaction des besoins fondamentaux » Philipe Hugon, Economie de l’Afrique, 2004.

Nous citons cette réflexion de Philipe Hugon, car nous estimons qu’aujourd’hui, les politiques brandissent la notion de croissance pour justifier leur meilleure performance dans la gestion de la chose publique. Et nous estimons, que nous devons sortir de la mystification des chiffres. Par exemple, un gouvernement doit-il être heureux s’il a 1% de pauvres dans son pays ? Non ! Car 1% de pauvres, ce sont des hommes et des femmes qui meurent de faim, qui souffrent de maladie, qui n’arrivent pas à scolariser leurs fils et filles ou qui dorment dans les rues. Est-ce à dire que ces personnes sont sans importance ? Je ne le crois pas.

L’objectif fondamental de toute politique économique mise en place par un gouvernement, c’est de faire en sorte que sa population dans son entièreté puisse manger à sa faim, se loger, boire, se soigner, se vêtir et s’instruire. Le divertissement est une option non obligatoire quoiqu’importante. Tant que ces objectifs ne sont pas atteints, point de satisfaction ! Une fois le minimum vital acquis, on peut se réjouir de ses performances économiques. Malheureusement, ce n’est pas trop le cas sous nos tropiques ! Mais voyons un peu comment la SCADD compte permettre à 65% de la population de sortir de la pauvreté ! (l’un des objectifs de la SCADD : atteindre un taux de pauvreté de moins de 35% d’ici 2015)

 

Que propose la SCADD ?

 

Le Burkina Faso s’est doté d’un  document de politique économique à même de lui permettre d’atteindre ses objectifs de développement. Dès la prise en fonction du gouvernement, le mot d’ordre fut lancé de se mettre rapidement au travail pour relancer l’économie. Depuis lors une campagne d’information sur le budget 2011 et sur la SCADD est menée.

Selon le document officiel, « L'objectif global de la SCADD est de réaliser une croissance économique forte et soutenue, génératrice d'effets multiplicateurs sur le niveau d'amélioration des revenus, de la qualité de vie de la population et soucieuse de la prise en compte des principaux déterminants de la gestion durable des ressources naturelles. »

Pour être plus simple, cela veut dire que l’Etat fera en sorte que la richesse créée au cours des 5 ans à venir soit élevée de sorte que cela puissent augmenter les revenus de la population et que les 65 personnes sur 100 qui auront pas la chance de ne pas être pauvres puissent avoir une vie meilleure. (Peut-on dire tant pis pour les 35 autres ? Non ! Donc on ne peut se réjouir de réduire l’incidence de pauvreté à 35%, les chiffres cachent les réalités et les souffrances des populations).

Quatre axes stratégiques ont été élaborés à cet effet :

Ces  axes stratégiques sont définis par ordre de priorité décroissante pour la réalisation des objectifs de la SCADD :

(i) axe 1 : promouvoir les pôles de croissance et réduire la vulnérabilité de l'économie ;

(ii) axe 2 : développer les infrastructures économiques ;

(iii) axe 3 : investir dans le capital humain ; et

(iv) axe 4 : renforcer le cadre du développement durable

Voici les axes autour desquels la SCADD s’articulera pour atteindre ses buts à l’horizon 2015. Si de prime abord, ces axes semblent portée en elles-mêmes les éléments pouvant contribuer au décollage, force est de reconnaitre que sa mise en œuvre nous laisse sceptique.

Rappelons-nous que le précédent document de politique économique, qui n’a pas permis de changer substantiellement les conditions de vie des burkinabè avait comme axes principaux :

Axe 1 : Accélérer la croissance et la fonder sur l’équité ;

Axe 2 : Garantir l’accès des pauvres aux services sociaux de base et à la protection sociale Axe 3 : Elargir les opportunités en matière d’emploi et d’activités génératrices de revenus pour les pauvres

Axe 4 : Promouvoir la bonne gouvernance.

Avons-nous pu accélérer la croissance et la fonder sur l’équité ? Les pauvres ont-ils pu avoir accès aux services sociaux de bases ? Les 73.4% de diplômés chômeurs ont-ils pu voir se résoudre leurs problèmes d’emplois ? La bonne gouvernance fut-elle de mise ? Les réponses à ces questions se trouvent dans la SCADD et dans chaque recoins des réalités quotidiennes des burkinabés (la majorité bien entendu). Ce qui suppose que le problème fondamental des programmes, ne réside pas forcement dans la qualité du document, mais surtout dans les conditions objectives et subjectives de sa mise en œuvre. Ce qui fait défaut dans notre pays !

 Or l’atteinte de ces résultats auraient permis de créer les conditions de succès de la SCADD.

 

3 877.2 milliards sur 5 ans pour l’émergence !

 

Les rédacteurs de la SCADD ont des connaissances économiques qu’il faut saluer. Mais ces connaissances malheureusement sont trop « hautes » et trop « loin » de nos réalités fondamentales. Nous leur demandons de revenir au pays des hommes intègres. Le budget alloué aux investissements pour la réalisation de la SCADD s’élève à environ  653,0 milliards (2011) ; 732,8 milliards (2012) ; 772,6 milliards (2013)  823,5 milliards (2014) ; 895,3 milliards (2014). Sans compter que les prévisions de recettes ne sont pas toujours réalistes. (cf. mesure de la performance de la gestion des finances publiques au Burkina Faso selon la méthodologie PEFA, Avril 2007). Soit, supposons que les recettes prévisionnelles soient égales aux recettes recouvrées. Cela suppose que l’Etat burkinabè compte réaliser l’émergence avec 3 877,2 milliards.

Dans le document officiel, il est prévu entre autres l’installation d’unités industrielles ou semi-industrielles, construction d’une infrastructure aéroportuaire d’envergure internationale, construction de nouveaux réseaux ferrés, développement d’aérodromes, construction d’abattoirs modernes, construction d’oléoducs, réalisation de lignes d’interconnexion etc. sans compter tous les investissements dans le domaine éducatif, de la santé … Dans l’hypothèse d’un recouvrement intégral du montant prévu, l’émergence ne saurait être atteint avec des investissements de 3 800 milliards. Faut croire aux « wacks » pour l’affirmer. En effet, l’investissement dans le cadre du budget national n’est pas forcement synonyme d’acquisition de capital. Mais cette notion tient compte pour chaque secteurs (Présidence du Faso et services rattachés, les différents ministères), de l’acquisition de véhicules, constructions de villa, de gouvernorat (cf. budget 2010), construction de la présidence (cf. Budget2010) ; aussi, pour un projet, le traitement salarial, l’achat de matériel de bureau, matériel de transport sont des investissements. En un mot, les dépenses de fonctionnement du projet sont comptabilisées comme investissement. Ce qui suppose que moins de la moitié de ce budget d’investissement est alloué à la formation de capital, à l’acquisition réelle de biens à même de modifier substanciellement la structure économique du pays, passage obligé pour amorcer l’émergence.

 

Que retenir ?

 

Si la SCADD se veut être un document de stratégie pour l’amorce de l’émergence dans le pays, force est de reconnaitre que des efforts doivent faits pour éviter de tomber dans la routine des projets souvent bien ficelés mais parfois irréalistes, compte tenu du budget disponible. En effet, l’ambition de l’Etat sera freinée par le budget national. En effet, 3800 milliards de franc alloué aux investissements, dont la moitié ne servira que dans l’accumulation du capital nécessaire, nous nous demandons comment des oléoducs, des interconnexions, des unités industrielles et tous les autres investissements dans les différents domaines de l’économie pourront se réaliser. Aussi, chose importante, c’est la maîtrise de l’énergie ! Car sans elle, aucune industrialisation ne sera possible. Il faut donc la mise en œuvre d’un programme réaliste, en accord peut-être avec le Mali et le Niger pour l’exploitation de l’énergie solaire. Sinon, Damette Felix risque d’avoir raison lorsqu’il affirmait ceci : « non seulement le Burkina Faso est pauvre, mais en  plus s’appauvrit » en conclusion du travail de recherche sur le SNAT pour le compte du ministère de l’économie.

Nous estimons que des choses peuvent être changées dans ce pays, avec une gestion rationnelle des ressources disponibles et surtout une bonne répartition de ces ressources ! Les dépenses inutiles de fonctionnement, l’organisation de manifestation entrainant des dépenses sans retour conséquent sur investissement doivent être mis en repos, le temps de réaliser le minimum vital pour les populations. Ensuite, les conditions subjectives de la réalisation du développement doivent être réalisées. Il s’agit de la motivation et de la mobilisation des populations autour des programmes proposés par l’Etat. Dès lors il sera facile pour l’Etat de demander à la population de faire des efforts pour la réussite des programmes. Sinon la suspicion des populations vis-à-vis des actions de l’Etat ne feront que rendre vain les efforts du gouvernement. Mais pour créer cette condition subjective, il faut que l’Etat soit à l’image de sa population, et qu’il comprenne les attentes des populations et donne l’exemple par leur comportement ! Economie et politique ne sont pas dissociables. Nous attendons l’échéance 2015 pour juger de la pertinence de ce programme et nous espérons vivement nous tromper. Car depuis le renouveau de la planification en 1994, les diagnostics des différents plans quinquennaux sont identiques : « bien que ayant eu des succès par moments, il faut reconnaitre que les politiques n’ont pas pu changer significativement les conditions de vie des burkinabè » !



02/03/2011
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